La Liberté

Air : La Treille de Sincérité.


Tant s’en faut qu’elle soit duchesse

Au noble faubourg Saint-Germain,

La liberté, toujours déesse

Et patronne du genre humain :

Mais d’humeur un peu bohémienne,

Toujours partout et nulle part,

Pas plus de Paris que de Vienne,

Partout elle arrive et repart :


Vagabonde,

Elle court le monde,

Qui sur lui tourne et ne veut pas

Se mettre au pas. (Bis)


Pourtant la belle aventureuse

Ne chemine à tort à travers,

Vrai juif errant, noble coureuse,

Que pour le bien de l’Univers.

A voyager elle est commise

Aux peuples pour prêcher leurs droits,

En fuyant toujours compromise

Par ses grands enfants maladroits.


Voyez-là du sol de l’Attique

Déserter avant les beaux arts,

Fuir après, non la Rome antique

Mais bien la Rome des Césars.

A Paris deux fois elle est reine,

Et sur un trône vermoulu

S’assied enfin en souveraine :

De nos trois jours elle a voulu.


Au clocher courant la campagne,

En Belgique elle fait un roi,

Un autre en Grèce ; or en Espagne,

En Portugal l’enfer, je crois ;

De là se perd pour reparaître

A Naples, à Rome, on ne sait où,

En Suisse ! au Kamtchatka ! peut-être,

A Berlin, à Vienne, à Moscou !


A Naples donc, poussant sa pointe,

Au glaive du grand Charles-Quint,

Qu’oppose-t-elle en contre-pointe ?

Parbleu ! la botte d’Arlequin.

A moi, Pierrot, s’écrie-t-elle,

A moi, Léandre et Pantalon,

A moi surtout Polichinelle !

Va-t-elle tourner le talon ?


Du pied, dit-elle au roi Marmotte,

Le Kaiserlick il faut chasser,

Car l’Italie est une botte,

Es-tu de taille à la chausser ?

J’ai chaussé la mule du pape,

Tiare au front je vais camper.

Sois son soldat ou je m’échappe.

Grand Dieu ! va-t-elle décamper ?


Éteignant sa mêche de cire

Devant les feux de l’ennemi,

Des marmottes le pâle sire

Peut-être s’est-il rendormi.

Or en France aussi l’on sommeille,

Et qu’importe à la liberté

Que le bon Saint-Pierre s’éveille

Avant que le coq ait chanté ?


Tous, au lieu de bondir en masse,

Dit-elle aux peuples enragés,

Si vous vous levez quand je passe,

Tour à tour vous vous rasseyez.

Ensemble et d’un élan sublime

Debout ! en vous tendant la main,

Vous qu’avec ensemble on opprime,

Dit-elle, et passant son chemin,


Fille du ciel si mal gardée,

Toi, si facile à conquérir,

Mais qu’en estafette bardée

Devant des rois on fait courir,

Tantôt lazzarone ou papesse,

Du monde refaisant le tour,

Ah ! puisses-tu, bonne déesse,

Chez nous repasser au retour !


Mais avant il nous faut en France

Désapprendre la lâcheté,

Honnir de la Sainte-Alliance

Le garde-chiouzme effronté.

A bas l’absurde hiérophante !

A bas Guizot, l’homme de Gand !

A bas Guizot, le sycophante !

A bas Guizot ! en attendant,


En attendant elle voyage

De l’Est à l’Ouest, du Sud au Nord,

En contrebande et sans bagage

Sans port d’arme et sans passeport,

En attendant qu’un tour de roue

Nous la ramène Dieu sait d’où,

A Colin-Maillard elle joue

Avec les rois : Cass’cou ! Cass’cou.


Vagabonde

Elle court le monde

Qui sur lui tourne et ne veut pas

Se mettre au pas. (Bis)